Canada : Les trois défenseur·ses autochtones du territoire de la nation Wet'suwet'en condamnés avec sursis, mais l'impact de la colonisation persiste
Front Line Defenders salue le fait que les défenseur·ses autochtones du droit à la terre, Sleydo' Molly Wickham, Shaylynn Sampson et Corey Jocko, n'aient pas à purger de peine de prison supplémentaire. Ils ont respectivement été condamnés à une peine avec sursis de dix-sept, douze et neuf jours ainsi qu'à 150 heures de travaux d'intérêt général. L'organisation se félicite également que le système judiciaire de Colombie-Britannique reconnaisse l'impact continu de la colonisation dans cette affaire, mais exprime son inquiétude quant aux restrictions que l'injonction existante, qui interdit les actions de défense des terres à proximité de la construction du gazoduc Coastal GasLink (CGL), continuera d'imposer à leur droit de défendre les terres ancestrales de la nation Wet'suwet'en. Les peines de prison avec sursis prononcées par le tribunal de Smithers (Colombie-Britannique) le 17 octobre 2025 ne seront purgées que si les défenseur·ses du droit à la terre enfreignent cette injonction au cours de l'année à venir.
Le juge qui a décidé de suspendre les peines d'emprisonnement a déclaré au cours de l'audience qu'il s'agissait d'un cas exceptionnel, car les actions des trois défenseur·ses visaient à lutter contre les effets persistants de la colonisation et l'incapacité des gouvernements fédéral et provinciaux à reconnaître effectivement les droits de la nation Wet'suwet'en. Le juge a évoqué l'absence de mesures visant à mettre en œuvre le protocole d'accord conclu en 2020 entre le Canada, la Colombie-Britannique et les chefs héréditaires Wet'suwet'en, qui établissait que le Canada et la Colombie-Britannique reconnaissaient les droits et les titres des Wet'suwet'en sur l'ensemble du territoire Yintah, et que les trois parties s'engageaient à négocier la reconnaissance juridique des titres des Wet'suwet'en.
Le juge a également reconnu « l'ombre de l'héritage de la colonisation » dans cette affaire et a déclaré qu'il avait prononcé des peines avec sursis pour faire avancer l'objectif de réconciliation avec les peuples autochtones au Canada. Cette reconnaissance par le système judiciaire canadien des effets persistants de la colonisation est importante et constitue un précédent pertinent pour les peuples autochtones. La décision d'imposer une peine alternative de 150 heures de travaux d'intérêt général, qui seront effectués par les défenseur·ses en partenariat avec les Lax'yip Firekeepers (gardiens du territoire) de la nation Gitxsan, garantira que les droits ancestraux des défenseur·ses ne seront pas davantage violés par les peines qu'ils purgeront.
Le verdict a également pris en compte la décision du 18 février 2025 en faveur de la demande d'abus de procédure introduite par les défenseur·ses autochtones du droit à la terre dans le cadre de la procédure pénale engagée contre eux pour avoir mené des actions pacifiques sur les sites de construction de l'oléoduc CGL en 2021. Le juge a affirmé que le traitement que les défenseur·ses ont reçu pendant leur détention était « la dépravation la plus extrême que l'on puisse endurer ». En août 2024, Front Line Defenders s'est jointe à une déclaration dénonçant la détention arbitraire des peuples qui les sépare de leur communauté, car elle peut avoir de graves conséquences sur eux et sur leurs communautés, en limitant leur droit de défendre leurs intérêts et leurs droits collectifs, en en violant leur identité et leur unité. Front Line Defenders salue donc les peines de prison avec sursis et estime qu’il s’agit d’une mesure qui permet d'éviter d'autres mauvais traitements inutiles et la séparation des défenseur·ses autochtones de leurs communautés.
Tout en saluant les aspects positifs de la décision de la Cour, Front Line Defenders exprime également sa préoccupation quant au fait que l'injonction interdisant les actions de défense des terres près de la construction de l'oléoduc CGL contre les défenseur·ses autochtones du droit à la terre reste en vigueur. Et ce malgré la décision rendue en 2019 par le Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination raciale (CERD) demandant au Canada de cesser la construction du gazoduc Coastal GasLink sur les terres ancestrales de la nation Wet'suwet'en et de suspendre tous les permis et autorisations liés, ainsi que de cesser toute expulsion forcée à leur encontre. La décision du tribunal du 17 octobre 2025 n'aborde pas cette question et, en condamnant les défenseur·ses autochtones du droit à la terre, elle valide l'application de l'injonction. Le verdict prononcé à l'encontre des défenseur·ses a un effet dissuasif, renforce les restrictions de circulation sur leurs territoires et nie leur droit légitime à protéger le territoire Wet'suwet'en contre les projets d'extraction qui affectent leurs terres et leurs vies.
La reconnaissance du travail des défenseur⸱ses des droits humains est importante pour légitimer leurs activités, faute de quoi les institutions risquent de manquer à leur responsabilité de les protéger comme il se doit. Front Line Defenders continuera à soutenir les défenseur·ses autochtones du territoire de la nation Wet'suwet'en qui protègent leurs terres et leurs droits collectifs.
Front Line Defenders appelle les autorités canadiennes à mettre en pratique la reconnaissance par la Cour de « l'ombre de la colonisation » en mettant fin à la criminalisation des défenseur·ses des droits humains autochtones et du droit à la terre, en protégeant leurs droits à défendre leurs terres ancestrales, et en respectant leurs obligations en vertu du droit international de reconnaître, respecter et renforcer leur travail.
« Nous nous appuyons sur ce que nos ancêtres croyaient et vivaient, et sur les terres qui les ont nourris, qui ont nourri les enfants. Aujourd'hui, nous parlions du procès [Delgamuukw] et de la façon dont ils l'ont fait pour nous, et aujourd'hui cela a vraiment montré ce qu'ils ont fait et à quel point ils se sont battus, et le fait que nous avons toujours des terres et des territoires, et le fait que nous sommes toujours là, que nous continuons à nous battre et que nous sommes des peuples autochtones forts. » Sleydo’



